Je partage ici quelques poèmes écrits sur les routes d’Europe depuis début juillet 🙂 J’en avais déjà publié quelques uns, si vous lisez assidûment mon blog !
Fille des Alpes
Je ne fais qu’une avec les montagnes
Elles m’accompagnent,
Des sommets à perte de vue
Et du brouillard à en perdre la vue
Sur mon vélo je slalome
Et malgré la pluie je dégomme
Toujours plus loin, toujours plus vite
Même si j’ai froid ou que je transpire
Je continue ne m’arrête pas
Tout change autour de moi, mais moi pas
J’écoute la nature et chante avec les oiseaux
Je crie de joie que ce monde est beau
Il y a encore tant à découvrir
Bercée par une cascade je m’endors et respire
Sans regret, tournée vers l’après
Pensant à toutes ces personnes qu’il reste à rencontrer.
Slovénie
L’esprit aussi embrumé que les montagnes
Je descends la vallée à la recherche de calme
Hudajuzna je traverse
Alors que la pluie tombe à verse
A la recherche d’un toit
En quête de toi plus que de moi
Je continue ma route
Pleine de doutes.
Italie
En Italie c’est pas la folie
Ya pas de place pour les vélos
Et je manque tout le temps d’eau
Poussée à l’extrémité de la chaussée
Je zigzague pour m’en tirer
Ici les vélos n’ont pas leur place
Je suis comme un éléphant sur la glace
A essayer de trouver mon équilibre
Alors que toutes mes vertèbres vibrent.
Croatie
Roche saillante d’un côté
Adriatique vertigineuse de l’autre
J’observe le monde changer,
Lentement. Sommets à perte de vue
Et moi tout ce temps qui sue
Chaleur quand cesseras-tu ?
Je tue le temps en chantant
Salue le peu de cyclistes qu’il y a
Et me raconte des histoires
Me rappelle mon enfance
L’innocence douce de mes premiers jours
Pour me donner une raison d’avancer
La route est belle mais la route est longue
Il me faudrait des aîles, mais je n’ai que des tongs
J’y arriverai, je le sais
Je puiserai dans mes ressources
Et ma bourse. Alors je repars,
Malgré le cagnard, et espère trouver du calme.
Adriatique
Coincée entre la mer et la montagne
Je suis comme prise au piège
Qu’une route pour avancer
Et les campings cars toujours plus nombreux
Me dépassent sans me calculer
Je roule toujours plus à droite
Malgré l’absence de place
Consciente que la chute pourrait être vertigineuse
Et que je pourrais passer à la moissonneuse
Je continue pensant à tous ces jeunes morts sur la route
Ces bouquets que je vois
Et qui me rappellent qu’on ne vit qu’une fois.
L’Adriatique (2)
Beauté dangereuse
Manteau d’azur
A l’usure tu m’auras
Le trépas est toujours proche
Je me revois mioche sur mon vélo
Puis à Bordeaux sur la dune
Ce n’est qu’une folie de plus
Le bus n’est pas une option
Cette fois. Bénédiction ou malédiction
C’est la route qui me le diras
Ou mon corps qui trépassera.
Dalmatie
La mer se déchaîne
Et moi toujours enchaînée
Je pédale sous une pluie torrentielle
Ne vois que des nuages menaçants dans le ciel
Je continue le long de la route sinueuse
Vois passer des campings cars et des motards
Et moi toujours trempée
J’entame une nouvelle ascension
Observe les profondeurs abysalles de la mer
Ici pas d’erreur
Ni de seconde chance
Je ne veux pas de bouquet en mon honneur
Je roule sur la route, mais n’y reste pas.
Zadar
Retour à la normale
Si ça existe encore ?
Cette vie calme et sans effort
A marcher sur les dalles
Plutôt que de l’avoir
Cette faim. Flâner sur les quais
En quête d’une éternelle paix
Mais mon cœur ne peut être satisfait
Il faut que je reparte.
Rester c’est l’indolence
Je crois que je préfère la souffrance
Demain je monte à vélo c’est sûr, en haut des collines
Je grimperai, et l’inconnue de l’équation
Je découvrirai.
L’inconnu de Bakarac
18 juillet
A toi l’étranger
Qui m’a offert à manger
Brassens avait son auvergnat
J’ai le mien aussi
Il vient d’ici, de Croatie
C’est le premier à m’avoir vraiment regardée
Assis sur la rive il attendait patiemment
Que je me lève, pour me faire signe
Curieuse je me suis rapprochée
Et c’est un énorme bout de viande qu’il m’a donnée
C’était dix-neuf heures, j’avais chaud et faim
Plus qu’un encas ce fut mon repas
Merci à toi brave croate
D’avoir pensé à moi
Sacrifié ta nourriture pour une fille de passage
Tu auras été mon roi mage.
Les temps ont changé
2 août
Pourquoi n’y a-t-il plus de vendeurs ambulants avec leurs éventaires ?
Pourquoi quand je parle du passé me dit-on de me taire ?
Je voyage dans l’espace mais je voudrais voyager dans le temps
En lisant Pagnol, je me dis que c’était bien avant
Oui la vie était dure, et on n’était pas riche
Mais on pouvait compter sur les autres malgré le terrain en friche
J’ai fait mille sept cent kilomètres à vélo sur les routes d’Europe
Et pourtant peu de rencontres la plupart des Européens font la taupe
Cadenassés dans leurs maisons avec piscines
Alors que je passe devant chez eux, et que sur mon vélo j’ai pas belle mine
Aucune porte ne s’ouvre la route est ma prison
Moi qui imaginais qu’ils crieraient à l’unission
Pour m’encourager et m’offrir à boire
Mais c’est de l’Europe dont je vois les déboires
C’est frustrant mais il faut avancer
J’écouterai Spinoza pour vivre avec cette société plutôt que de lui résister
Demain je repars sur les routes
Bloquée dans cette époque qui me remplit de doutes
Mais j’irai de l’avant je pédalerai encore et encore
Et écoutant Baudelaire je transformerai la boue en or.
Ivan.
Il s’appelait Ivan et il avait 23 ans
Mort sur les routes comme beaucoup d’autres
De vivre il n’a pas eu le temps
Il est parti bien tôt lui qui aurait du vivre cent ans
L’accident est arrivé trop vite
Lui qui a du grandir avec des mythes
Qui ont bercé son enfance
Il était peut être sur la route des vacances
Lorsque le glas a sonné
Et sa mère qui se remémorait le jour où il était né
Les bruyères sur le cercueil c’est bien trop tôt
Quand à 23 ans on a explosé le capot
Des Ivans j’en ai vu des dizaines
Au bord des routes et l’histoire se répète
Toujours trop jeunes pour être partis
Et moi qui pédale, pense aux familles meurtries
J’embrasse ma chaîne en or
Espérant que le prochain sémaphore
Ne signale pas ma fin,
Je veux vivre encore, revenir et voir le sapin
De Noël et les cadeaux
Dormir paisiblement sur mon dos
Je veux repousser les limites un jour encore
Et embrasser ma chaîne en or.
Albanie
Je navigue sur la route SH72
Sans GPS et évitant la bouse
Ici c’est comme à la maison
Oliviers à ma droite et vendeurs de melons
Protégée par la montagne à ma gauche
Je pédale avec mon ombre et mes sacoches
Toujours accrochées, qui survivent aux secousses
Et mes fesses sur un coussin en mousse
Tiennent bon. Je glisse comme sur des patins à glace
Et les locaux bouche bée perdent la face
Certains me crient « brav » d’autres me saluent
Et pendant ce temps, je continue ma mue.
Albanie (2)
En Albanie c’est la folie
Des ptits et des grands trous
Y’en a pour tous les goûts
Sur la chaussée je ne suis pas bénie
De Dieu ni personne
Y’en plein pour ma paume
Ca secoue et c’est tout comme
Si je pédalais après le clairon qui sonne
Ici pas besoin de permis car tout l’est
Et c’est toujours au lendemain que je remets
Ma sécurité. Ici un gilet jaune ne suffit pas
Pour échapper au trépas
Sur les routes albanaises
Pour rouler avec aise,
Il faut se faire confiance
Et ne pas avoir le cœur rance
Eviter les ânes
Les troupeaux de moutons
Rouler en équilibre sur le ponton
Et ne pas finir en canne.